Jacques Dassié nous a quitté le 16 avril 2024, à l’âge de 96 ans. Il est à l’origine de la découverte de plus de 2000 sites archéologiques en Poitou-Charentes, dont la cité portuaire gallo-romaine du Fâ à Barzan. Il a publié sa thèse « Manuel d’archéologie aérienne » en 1978. En hommage, nous partageons l’article sur son travail et sur les techniques d’archéologie aérienne (ci-dessous), qu’il avait publié dans notre bulletin n°40-2013.
TECHNIQUES D’ARCHÉOLOGIE AÉRIENNE
L’archéologie aérienne est une technique de prospection archéologique basée sur l’observation aéronautique et la photographie aérienne, pour rechercher, découvrir, localiser et enregistrer de nouveaux sites archéologiques.
Jacques Dassié
L’observation aérienne permet d’avoir une vision d’ensemble de la zone désirée. Le recul qu’elle apporte permet la perception plus facile de l’ordonnancement géométrique de traces, généralement invisible du sol. Cette régularité de forme, caractéristique de son origine humaine, qui décidera le prospecteur à considérer cette zone comme un site archéologique possible, et à l’enregistrer.
Si l’homme est intervenu dans le sol, depuis des siècles, voire des millénaires, cette action est irréversible! Le temps et les pratiques agricoles peuvent avoir tout nivelé en surface, il subsistera toujours une anomalie dans la distribution des strates du sol naturel. Ces anomalies créent une différence de capacité de rétention d’eau, susceptible d’être mise en évidence sur un sol nu ou par la végétation, qu’elle soit naturelle ou cultivée (croissance différente, floraison, maturation et jaunissement accélérés ou retardés).
La photographie est utilisée pour attester les découvertes éventuelles, pour faciliter la localisation géographique précise des sites nouveaux et aider à la détermination chronologique.
Cliché J. Dassié- Aéroclub de Pons-Avy : préparatifs de vol de Jacques Dassié.
Le coût nul d’un fichier informatique permet de multiplier les prises de vues afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles. Il s’agit très généralement de photographies obliques, prises à basse altitude, le plus souvent au travers du plexiglass du cockpit de l’avion.
En France, pays de vieille tradition aéronautique ( environ 400 aérodromes), on trouvera toujours un terrain convenable très proche. Le photographe aérien utilisera pratiquement toujours un appareil loué à l’aéro-club le plus proche et l’avion de tourisme constituera souvent le moyen privilégié, son coût horaire étant en moyenne dix fois plus faible que celui de l’hélicoptère! le pilotage personnel est le moyen d’assurer le maximum de liberté au cours des prospections.
En vol
Le pilote est responsable de la sécurité du vol, de la machine et de ses passagers. Il se souciera de la force du vent et de ses turbulences. Lorsque « ça chahute » trop fort, l’appareil tenu à la main sera instable du fait de son inertie.Toute question de confort mise à part, il est difficile dans ces conditions de faire un travail satisfaisant. il vaudra mieux éviter les heures les plus chaudes et voler tôt le matin et tard le soir au moment ou l’air redevient d’huile.
La prospection se fait souvent vers 300 ou 400 m de hauteur, et le pilote, apercevant des traces, va commencer à décrire une large spirale descendante ( du côté du photographe…) afin de parcourir successivement tous les angles d’azimut et de site pour repérer la meilleure orientation, le meilleur éclairage, l’angle sous lequel le sujet sera le mieux mis en valeur. On s’apercevra que c’est souvent une vue prise sous un angle de 45° qui est les plus agréable. Trop verticale l’image déroute car le spectateur n’y retrouve plus ses marques habituelles. Au retour de mission photo : les logiciels de traitement graphique vont servir et les corrections porteront sur luminosité et contraste. Le but étant de donner le maximum de lisibilité aux indices décelés.
Les indices révélateurs
Soit un sol crétacé, recouvert d’une couche de terre arable surmontant une banche calcaire. Une peuplade gauloise y a creusé un fossé circulaire, au cours d’un rituel funéraire du Ve siècle avant Jésus-Christ. Siècles après siècles, l’érosion, les cycles saisonniers, le vent, les cultures, font leur œuvre et comblent progressivement le fossé. Un millénaire plus tard, il a totalement disparu, le sol est uniforme, avec sa végétation naturelle et plus rien ne vient signaler la présence de ces vestiges enfouis…
Cliché J.Dassié-nécropole protohistorique -Grézac-Chénegron.
…Vers 1 m de profondeur, il y a une sépulture ( ou plusieurs groupées en nécropole) et leurs fossés rituels, avec leur remplissage de terre et d’humus. Ils constituent d’excellentes réserves d’humidité, saturés par les pluies hivernales. A l’apparition des premières sécheresses et à l’aplomb des fossés, les céréales seront parfaitement irriguées par les remontées capillaires et pousseront plus vertes, plus fortes, plus hautes! De même, au moment de la maturation, elles resteront vertes plus longtemps que leur environnement jaunissant. L’observateur aérien, présent à ce moment là, verra de splendides cercles verts se découper dans un champs d’or!
Grandes périodes archéologiques : le Néolithique.
Dans nos régions on peut considérer-très en gros- que cette période s’est développée de -4000 à -2000 ans avant Jésus-Christ. On parle du Néolitique saintongeais et de ses camps caractéristiques, au style original. Ce sont des ensembles défensifs pouvant abriter une petite peuplade. Il y a de grands fossés de défense, doublés par une palissade intérieure et munis de toute une série de portes et de chicanes destinées à freiner l’entrée d’étrangers ennemis.
Cliché J.Dassié – Balzac 16. Les Coteaux de Coursac.Splendide éperon barré néolithique dominant la Charente d’une soixantaine de mètres. Fouilles Claude Burnez et Catherine Louboutin. Le fossé plus large, vers la pointe est d’une autre époque. Il a révélé une occupation de l’âge de bronze. Fouille CNRS- José Gomez de Soto.
Les néolithiques savaient admirablement utiliser le terrain existant : les nombreux » éperons barrés » en sont le témoignage.
La protohistoire
La protohistoire se trouve pratiquement confondue avec les Âges des métaux : cuivre, bronze, fer. On rencontre le plus souvent des traces des rituels funéraires gaulois ( crémation), avec offrande de provisions et d’armements pour « le grand voyage »… Assez émouvant.Cliché J. Dassié- le camp néolithique du Moulin de La Coterelle, à St Germain de Lusignan,17. Protégé par de grands fossés avec portes d’accès et chicanes, il servait d’abris et de refuge à une peuplade de cueilleurs-chasseurs vers – 2700 ans. Fouilles Jacques Gaillard AAHJ.
Le gallo-romain
Dans les années 1955-60, l’auteur s’est intéressé à l’histoire de la Saintonge, il avait entendu parler de Claude Masse, ingénieur-géographe du Roy ( Louis XIV) au XVIIe siècle. Ce savant avait rédigé un atlas cartographique intitulé « Recueil de Saintonge consacré à la rivière de Bourdeaux », déposé à la bibliothèque du Génie, à Paris. Dans ce document, feuille 50, figure 9, il précisait pour la paroisse de Barzan : » l’on tient qu’il y estoit ici une ville … ». Et sur la carte, entre Arces et Barzan, on peut lire :« hauteur de la Garde, d’où on découvre fort bien les vestiges d’un Amphithéâtre ». A l’emplacement du Moulin du Fâ, il écrit encore: « l’on tient qu’il y avait icy une ville ».qualifiée de » fameuse »plus loin dans les textes.
Cliché J. Dassié- Le podium du Moulin du Fâ, entouré de son péribole et de sa colonnade.
Nous avons estimé que si un ingénieur-géographe du roi avait pris la peine d’écrire cela et à plusieurs reprises, nous n’avions aucune raison de douter de la véracité de son affirmation!
En 1993, la création de l’ASSA Barzan marqua le début de l’intérêt du public. De grandes facultés bordelaises s’intéressèrent à ce site et les premières fouilles furent effectuées sur le péribole du Fâ, par le professeur Pierre Aupert, de l’Institut d’Histoire de Bordeaux III, en 1995. C’est ainsi que la grande colonnade du temple du Fâ fut mise au jour! cette colonnade que j’avais annoncée en 1975, m’avait valu bien des critiques et des railleries. « Oui, Dassié , il voit des colonnes partout… » Et voilà que –vingt ans après-, elles surgissaient du sol, intactes, neuves dirait-on!
Cliché J. Dassié- Les colonnes du temple! Découvert en 1975, le site gallo-romain de Barzan, a dormi vingt ans avant que la faculté de Bordeaux III et le professeur Pierre Aupert ne débutent des fouilles qui se poursuivront sur d’autres parties du site.
La preuve étant faite, d’autres universités suivirent et leurs chercheurs traitèrent plusieurs zones de fouilles. On peut citer : Alain Bouet, Bordeaux III, pour les thermes et les entrepôts, Laurence Tranoy, de La Rochelle, pour le Trésor, la grande Avenue et un quartier d’habitats. Antoine Nadeau et Graziella Tendron, pour le théâtre. Jacques gaillard pour l’étude pétrographique. Ce fut une très belle aventure archéologique qui a maintenant d’autres gestionnaires, sous l’égide d’un Syndicat mixte et du Conseil Départemental. Mais l’essentiel est toujours présent : les fouilles continuent et la connaissance de cette ville croît avec la publications de leurs résultats.
La période médiévale
Paradoxalement, c’est la moins représentée dans les résultats de nos travaux. En effet, des superstructures émargent encore et les sites sont bien connus par les textes. Donc le prospecteur aérien ne peut les « découvrir »! sauf magnifique exception, comme la découverte de Champdolent, au cours des ^prospections préliminaires sur le tracé de l’autoroute Saintes-Rochefort.
Cliché J. Dassié- Champdolent- Les Près du Vieux Château. Tout y est : les douves, les murs épais, le donjon hexagonal et même le pont-levis! la toponymie est également révélatrice et les légendes locales racontent qu’autrefois, un puissant château aurait été détruit par Charlemagne.
Période moderne
Même l’époque récente est représentée avec ce vieux fort de défense côtière datant de 1685. Construit par Vauban, à Saint-Nazaire-sur-Charente, Fort Lupin est situé rive gauche de la Charente, à 4 km de l’embouchure. Il contrôle la fin de l’estuaire et faisait partie de toute une ligne de défense.
Cliché J. Dassié- Fort Lupin- Saint-Nazaire-sur-Charente.
Le monde moderne : clichés de J.Dassié- En haut Notre-Dame de Royan et en bas l’Abbaye aux Dames de Saintes.
Article publié dans le bulletin n°40-2013
Mr Jacques Dassié auteur de l’article a souhaité le compléter. ses observations porteront sur :
- Les voies romaines
- Les unités de distances antiques
- Les nouvelles orientations
- Le radar aérien
Les voies romaines
Comment s’appelait cette ville ?
(cf : site du Fâ-Barzan)
C’est l’une des premières questions qui se pose lors d’une découverte d’une cité : quel est le nom gallo-romain de cette ville ? Pour y répondre, il faudrait connaître le tracé précis des voies d’accès, analyser les documents antiques sur lesquels elles pourraient figurer, ainsi que les unités utilisées… Et savoir quelle était la valeur réelle, physique, du bornage, de la « métrique » originale!
Ce fut le début de plusieurs années de recherches qui devaient aboutir à la publication de « la grande lieue gauloise ». Approche méthodologique » de la métrique des voies » par la revue du CNRS « Gallia » référence internationale en matière d’archéologie. ( GALLIA, 1999-56).
C’est la valeur de cette grande lieue gauloise, 2415 mètres dans notre région (à comparer avec la lieue romanisée de 1 mille et demi, 2222 mètres, universellement enseignée…) qui a permis de proposer Barzan comme étant la NOVIOREGUM de l’itinéraire d’Antonin. La preuve décisive, une inscription gravée, est toujours espérée des fouilles en cours tous les ans.
Les unités de distances antiques
Traditionnellement dans les documents antiques, tels la Table de Peutinger ou l’itinéraire d’ Antonin, les unités arrondies de distances entre cités sont exprimées en « mille » , mille double pas, soit 1609 mètres, ou « leugae », lieue de 1500 pieds, soit 2222 mètres. Cependant appliquées aux relations entre Novioregum, à Barzan, Mediolanum Santonum, à Saintes et Blavia à Blaye, ces valeurs ne donnent aucun résultat cohérent. D’où le fort soupçon de l’existence d’une unité de valeur différente : la grande lieue Gauloise, de 7500 pieds de 0, 3248 mètre soit 2436 mètres. Mais de fait de l’absence de pouvoir centralisateur et unificateur en Gaule, de petites variantes de dimensions du pied existèrent selon les tribus. Une valeur moyenne centrale les représente et autorise les calculs. Nous utilisons la valeur de 2450+/-50 mètres. Cette valeur se retrouve dans toute l’Aquitaine et même dans d’autres régions. Une illustration assez démonstrative est donnée par » l’Itineraria Burdigaleuse » où en Aquitaine c’est la grande lieue gauloise qui est utilisée, cependant qu’un changement brutal s’effectue à Auch ( Auscitum) fines, frontière entre l’Aquitaine et la Narbonnaise, où la lieue reprend sa valeur « romanisée » (1) traditionnelle de 2222 mètres.
Les nouvelles orientations- La recherche par satellite
Certains organismes mettent gracieusement à la disposition de chacun, la totalité des images satellites couvrant le monde… (Google Earth). On peut survoler le sol, à volonté depuis l’altitude souhaitée. C’est un merveilleux outil d’investigation mis à la disposition de tous, permettant la recherche, l’étude des voies antiques , particulièrement faciles et à domicile ! une possibilité inouïe ! Nous ne mentionnons pas les recherches par drones amateurs. De part leur rayon d’action très limité (périmètre visuel) ils peuvent rendre service sur les chantiers de fouilles, mais sont incapables d’assurer des prospections extensives. Il n’en serait évidemment pas de même avec les gros drones militaires qui ont des rayons d’action tout à fait considérables.
Extrait d’une image « Google Earth » montrant la voie gallo-romaine : Pons : Guimps, en Charente-maritime. Les coordonnées en bas de l’image sont relatives à la position du centre du point rouge. Les voies commandent et orientent le parcellaire et sont ici, recouvertes de petites routes de campagne.
Le Radar aérien (LIDAR)
Le LIDAR (acronyme de light Imaging detection and ranging) est un système de télédétection qui fonctionne avec un faisceau lumineux et non hyperfréquence, comme un radar. Son support peut-être un avion, un hélicoptère ou un drone professionnel télécommandé. Il permet de découvrir, même en milieu forestier,l’existence de micro-reliefs ou de structures enfouies, grâce à ses facultés de pénétration. Malheureusement, la lourdeur des installations et leur prix rendent ces dispositifs accessibles aux seuls utilisateurs étatiques (IGN, CNRS etc…)
(1) Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un souci des nouveaux occupants romains qui, rencontrant une unité indigène sans rapport rond avec le mille, ont souhaité créer un rapport aisé : 1 lieue= 1,5 mille, en raccourcissant sa valeur de 10% afin de faciliter les conversions. C’est pourquoi nous l’appelons la lieu romanisée.
Jacques Dassié